A la suite de l’interpellation de deux journalistes qui réalisaient un reportage sur les migrants entrant clandestinement en France depuis l’Italie, Reporters sans frontières (RSF) rappelle que l’exercice du journalisme n’est pas un délit et que la protection des sources est un droit.
La journaliste suisse Caroline Christinaz travaillant pour Le Temps et le journaliste français Raphaël Krafft en reportage pour le Magazine de la rédaction sur France Culture ont été interpellés, alors qu’ils réalisaient dans la nuit de samedi à dimanche un reportage sur les migrants entrant clandestinement en France depuis l’Italie via le Col de l’Echelle, dans les Hautes-Alpes. Arrêtés à un barrage, alors qu’ils se trouvaient à bord de véhicules conduits par des habitants du Briançonnais qui avaient pris en charge quatre migrants mineurs isolés, les deux journalistes se sont vus convoqués, dès le lendemain, à la gendarmerie de Briançon.
Durant son interrogatoire, Caroline Christinaz a découvert être mise en cause dans une procédure pour “aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irrégulier d’étrangers sur le territoire français”. Ces faits peuvent être punis de lourdes amendes et de peines allant jusqu’à cinq ans de prison. La journaliste suisse a présenté sa carte de presse, expliqué qu’elle réalisait un reportage. “Pendant deux heures, la plupart des questions qui m’ont été posées visaient à obtenir des informations sur mes sources et les personnes avec qui je me trouvais”, explique Caroline Christinaz qui précise n’avoir cessé de répéter aux gendarmes qu’elle souhaitait, en tant que journaliste, faire valoir son droit à protéger ses sources. Les gendarmes ont également réclamé son téléphone portable et ses codes d’accès. La journaliste a déclaré avoir été ensuite interrogée sur sa vie privée, afin de pouvoir estimer ses capacités financières et établir le montant de l’amende, avant d’être photographiée et de devoir donner ses empreintes.
“Réaliser un reportage sur les migrants ou sur ceux qui leur viennent en aide ne peut-être associé à un délit, rappelle Catherine Monnet, rédactrice en chef adjointe de RSF. Traiter un journaliste comme un suspect alors qu’il ne fait qu’exercer sa profession est une entrave au libre exercice du journalisme. Reporters sans frontières rappelle également qu’un journaliste ne peut être forcé à révéler ses sources étant donné que la protection des sources journalistiques est un droit inscrit dans la loi de 1881.”
Convoqué quelques heures plus tard, dans l’après-midi, Raphaël Krafft a, lui, été entendu en qualité de témoin. Pour l’instant, les deux journalistes n’ont aucune idée des suites qui seront données à cette affaire.
La France figure à la 39e place du Classement de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières (RSF).
Syndicat suisses et français réagissent
A la suite de cette interpellation, Impressum-les journalistes suisses, l’organisation professionnelle des journalistes et le syndicat des médias Syndicom, pour la Suisse ainsi que le SNJ-CGT, pour la France, considèrent la mise en cause et l’interrogatoire de l’envoyée spéciale du Temps à Briançon comme intolérable. Le constat est clair : même en France, les droits des journalistes peuvent être bafoués comme ils l’expriment dans le communiqué ci-dessous :
« La liberté de la presse n’est pas seulement une valeur qui parle à ceux qui exercent la profession de journaliste. Elle doit être chevillée au cœur de tous. Et plus particulièrement à celui des représentants des autorités mis en place par des gouvernements démocratiquement élus. Malheureusement, pas besoin d’aller très loin pour constater que les droits des journalistes peuvent être bafoués de la manière la plus détestable.
Ce week-end, une journaliste du Temps a vécu une aventure particulièrement désagréable avec les forces de l’ordre françaises à l’occasion d’un déplacement professionnel. Envoyée par le journal pour effectuer un reportage sur les nouvelles routes empruntées par les migrants, Caroline Christinaz a été convoquée puis interrogée durant deux heures à la gendarmerie de Briançon, ville du sud de la France à trois heures de Genève. Sa qualité de journaliste en mission n’a jamais été entendue par les autorités, qui l’ont immédiatement considérée comme suspecte dans un contexte de forte mobilisation des forces de l’ordre pour refouler les migrants dans cette région. Lors de son interrogatoire, notre consœur a subi des tentatives d’intimidation de la part des gendarmes et du procureur, qui l’ont mise en cause alors qu’elle ne faisait qu’exercer sa profession. Ce n’est tout simplement pas tolérable.
Cette interpellation d’une journaliste n’est pas digne de la patrie des Droits de l’Homme. La récente loi sur la sécurité intérieure montre ses effets néfastes et semble renforcer le caractère répressif des forces de police et de certains magistrats. Le journalisme n’est pas un délit et rien ne saurait entraver la liberté d’informer.
Les journalistes suisses (Impressum et Syndicom) et français (SNJ-CGT) se tiennent aux côtés des journalistes du Temps pour dénoncer ces faits aussi inacceptables qu’intolérables. »