« Je suis contre une action monopolistique qui vampirise l’information et, par là même, la démocratie, la liberté de choix et d’opinion ». Jean Marie Cavada, président de la Société des droits voisins, exprimait ainsi, lors des dernières Assises internationales du journalisme, sa révolte contre les pratiques en la matière des Gafam (acronyme de Google, Apple, Facebook, Amazone, Microsoft) et les moyens de remédier à cette situation via la directive européenne sur le droit d’auteur et les droits voisins.
Reste que sa mise en application dépend de la volonté manifestée par les éditeurs de presse et les journalistes pour unir leurs forces. C’est le message lancé.
« Le temps qu’ils prennent pour se mettre d’accord, c’est bon pour nous ! » voilà ce qu’on peut entendre chez les dirigeants des Gafam. La formule montre l’importance de mettre en œuvre la directive européenne d’avril 2019 concrétisée en France par une loi du 24 juillet 2019 (1).
Cette loi vise à protéger les agences et les éditeurs de presse dont les contenus sont reproduits et diffusés comme libres de droits par les moteurs de recherche. Pour cela, la proposition de loi instaure un droit voisin au profit des agences et éditeurs de presse.
Elle fixe à cinq ans la durée des droits patrimoniaux détenus par les éditeurs et les agences de presse sur leurs productions au titre des droits voisins. Ces droits voisins s’appliqueront aux publications de presse, collections composées d’œuvres de nature journalistique ayant pour objet de fournir des informations sur l’actualité. Seront tenus d’acquitter des droits voisins les « services de communication au public en ligne » ce qui inclut les moteurs de recherche et les réseaux sociaux. Les journalistes auteurs de publications auxquelles s’appliquent le droit voisin pourront obtenir une part de la rémunération due aux éditeurs et aux agences de presse, dans des conditions déterminées par accord d’entreprise ou, à défaut, par accord collectif.
Une gestion collective des droits voisins
Concrètement la société des droits voisins de la presse (DVP) a été mise en place le 26 octobre 2021. Présidée par Jean Marie Cavada elle a pour mission de négocier avec les plateformes le montant des droits, de les collecter et de les répartir aux bénéficiaires.
La cohésion des éditeurs et groupes de presse n’a pas été évidente au départ, mais finalement le principe d’une gestion collective de ces droits a pris le dessus sur les intérêts particuliers de certains grands acteurs de la presse. « Pour nous c’était la seule porte de sortie », souligne Hervé Rony directeur général de la société des auteurs multimédias (Scam) qui souligne l’action positive en ce sens menée par les éditeurs de la presse magazine. La notion de gestion collective a également été primordiale pour notre adhésion au DVP, note Marie Hédin-Christophe du Syndicat des éditeurs de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil).
Accords de branche voulus par les journalistes
Cette logique de gestion collective doit aussi prévaloir en ce qui concerne la répartition des droits alloués aux auteurs. « Pour cela il n’est pas nécessaire d’attendre que la négociation avec les plateformes soit réglée », souligne Olivier Da Lage (Syndicat national des journalistes). D’où la démarche, souligne Pablo Aiquel (Snj-Cgt), engagée par les syndicats représentatifs des journalistes, SNJ, SNJ-CGT, CFDT-Journalistes et SGJ-FO pour « demander aux organisations patronales de pouvoir discuter de la mise en place du droit voisin au niveau des branches, afin, notamment, de fixer un cadre devant permettre à l’ensemble des journalistes de percevoir la part « appropriée » et « équitable » qui leur revient, et de ne pas léser les auteurs les plus précaires ».
Visiblement si cela a eu écho favorable auprès de la presse hebdomadaire magazine régionale il n’en va pas de même pour l’Alliance de la presse d’information générale (Apig : presse quotidienne nationale, régionale et départementale ) qui veulent des accords d’entreprises plutôt que des accords de branche pourtant prévus par la loi. Une attitude difficilement compréhensible, constate Hervé Rony, « avec des accords d’entreprise plutôt que par branches ils utilisent la technique des Gafam à laquelle ils s’opposent en défendant la gestion collective des droits voisins ».
« Il ne faut pas oublier que notre travail a pour objet, en permettant à des entreprises de presse de retrouver des ressources financières perdues au profit des plateformes qui se les accaparent sans contrepartie. Mais au delà de l’aspect économique, c’est la liberté d’information, base de la démocratie, qui est en péril », insiste Jean-Marie Cavada visiblement inquiet que cet enjeu ne soit pas suffisamment perçu comme primordial dans cette bataille contre des acteurs qui démontrent leur pouvoirs de mise en soumission de groupes de presse importants (via par exemple des emplacements privilégiés sur leurs plateformes) et même leurs capacités de lutter par tous les moyens, y compris hors légalité, contre des décisions qui ne leurs plaisent pas.