Une nombreuse assistance attentive lors de l’atelier organisé avec l’Union des clubs de la presse de France et francophones (Ucp2f) lors des Assises internationales du journalisme le 13 mars dernier. Des intervenantes (-ts) passionnées (-és) et passionnantes (-ts), de quoi nourrir une solide réflexion, animée par Richard Hecht de l’Ucp2f, sur la place du fait divers dans la vie locale, l’intérêt que cela suscite, le travail qu’il demande mais aussi l’impact que certaines situations violentes peuvent avoir sur les journalistes.
« Le fait divers remue l’âme de la vallée ». La formule de Frédéric Thiers, journaliste du Dauphiné Libéré dans la vallée de la Maurienne qui relie, en Savoie, la France à l’Italie, est une bonne définition de cette réalité ressentie partout où elle se produit. D’où l’importance pour les journalistes qui interviennent sur ce type d’évènement de connaître le lieu où il se produit et d’être en lien avec les habitants. A cet égard les correspondants de presse sont aussi des ressources précieuses.
Phoebe Humbertjean, journaliste police-justice à Tours pour la Nouvelle République, témoigne également de l’importance d’une bonne connaissance du terrain. D’abord via toutes celles et tous ceux ceux qui interviennent ( secours, police, justice, acteurs locaux, …) ou qui peuvent être concernées (-és) directement ou non par des situations soudaines et insolites qui modifient la vie courante.
L’indispensable relation avec les sources officielles ( police, administrations, élues (-s), …) ne traduit pas une allégeance à leur égard même si, souligne Isabelle Horlans, grand reporter pour la presse écrite et la télévision, aujourd’hui spécialisée justice et faits de société et auteure de livres, « il faut être attentif à ne pas être manipulé ». Elle répond ainsi à l’incrimination directe par un intervenant dans la salle qui assimilait les journalistes à de simples rapporteurs des mensonges présumés de policiers et magistrats. Assimilation également contredite par Phoebe Humbertjean indiquant,par exemple, qu’elle avait été auditionnée par l’Inspection générale de la police nationale (Igpn) sur des problèmes survenus au commissariat de Tours.
Indispensable pertinence journalistique
Si, effectivement, les journalistes ne pourraient faire leur travail sans un réseau de connaissance auprès de toutes celles et ceux qui peuvent être concernées (-és) par la survenue d’un événement, pour autant leur travail consiste aussi à vérifier toutes les informations qu’elles et ils reçoivent.
Par ailleurs, en ce qui concerne les sources officielles, force est de constater, indiquent toutes et tous les intervenantes (-ts), que le contact direct est entravé, notamment depuis les dispositions de Vigipirate et suite aux Covid, par la mise en place d’une communication officielle qui ne permet pas d’avoir autant d’informations qu’auparavant avec le risque, bien constaté, que certaines ne soient volontairement pas fournies par les administrations concernées.
Quand à savoir quel fait divers mérite ou non l’attention d’une information poussée, là aussi cela repose sur la connaissance du terrain qui devient cependant plus difficile à faire comprendre lorsqu’il suscite un intérêt national. Les journalistes sur place constatent, lors de l’arrivée de leurs consoeures et confrères venues (-us) d’ailleurs, la difficulté de poursuivre les relations sur le terrain. D’où, pourrait-on penser, notamment pour tous les médias, l’intérêt d’un travail en commun avec celles et ceux qui viennent d’ailleurs mais aussi avec les journalistes spécialisées (-és) dans le domaine concerné par la survenue du fait divers à traiter. La aussi il doit y avoir une attention à ces pratiques, surtout quand on constate la diminution des effectifs journalistiques dans nombre de médias régionaux et leur affectation renforcée devant les écrans au détriment de la présence et de l’investigation sur le terrain. Faute de temps suffisant ce sujet n’a malheureusement pas pu être abordé lors de l’atelier qui pourtant à bien mis en évidence l’importance pour les journalistes d’être confrontées (-s) aux faits divers. « C’est un formidable apprentissage du métier » insiste Isabelle Horlans qui ajoute « et aussi une école de vie ».
Un travail non sans risques
Une école de vie pas forcément facile à affronter, sentiment partagé par des exemples concrets exprimés par toutes et tous autour de la table. Revient notamment en mémoire à Marianne Rigaux, responsable pédagogique de Samsa.fr pour la presse de proximité, un stage à Nord Eclair lors duquel elle s’est trouvé en situation directe de veille pour les faits divers qui l’a amenée à être confrontée, sans aucune préparation préalable, à la vue du cadavre d’un noyé. Elle a du coup préféré intervenir en d’autres domaines comme pigiste puis dans la formation journalistique avec une attention particulière à la santé mentale.
Frédéric Thiers en convient tout à fait qui a été confronté à de nombreux accidents routiers très graves. Laurent Brunel, responsable pédagogique pour la presse de proximité à l’Esj Lille, se souvient également de son arrivée sur les lieux après l’explosion de l’usine AZF à Toulouse (?) : « on se serait cru sur la lune avec des masses d’objets déchiquetés au milieu desquels on imaginait des restes humains ». La confrontation avec des scènes violentes peut avoir des répercussions très graves d’où l’importance non seulement de formations adaptées pour les journalistes mais aussi d’une prise en charge lorsqu’elle a eu lieu.
« De nombreuses études montrent l’impact sur le cerveau des violences liées au faits divers » précise Marianne Rigaux qui organise des formations à TF1 et Arte, rares médias à prendre en compte la protection des journalistes soumis à toutes formes de situation violentes. Démarche indispensable souligne pourtant une intervenante psychiatre dans la salle. Prenant en exemple les syndromes post traumatiques d’enseignants suite à l’assassinat du professeur Samuel Paty, elle insiste sur l’importance d’une prise en charge. Isabelle Horlans le confirme : « j’en ai bénéficié après mon travail au Rwanda, c’était indispensable ».
Et pourtant constate Laurent Brunel, « dans la plupart des cas il y a un énorme manque de prévention et de suivi des journalistes qui pourront tomber sur des violences extrêmement dures ».
De quoi parle-t-on ?
Tous ces propos suscitent une question de la salle pour demander si avec les faits divers on ne parle que de ce qui ne va pas dans la vie d’un quartier par exemple. « On parle de la vie en continu dans nombres d’articles qui ne sont pas liés aux faits divers », commente Frédéric Thiers en précisant que ceux-ci peuvent aussi mettre en évidence des initiatives heureuses à l’image de la relation qu’il a faite de l’intervention d’un perchman, non formé aux secours mais qui a pu sauver la vie d’un enfant en grande difficulté. Réactions immédiates, contrôlées, ou non, les faits divers traduisent aussi à leurs manières l’évolution de société à quelque échelle que ce soit, du local à l’international dont on ne pouvait évidemment pas faire le tour dans le temps imparti à l’atelier. On aurait pu en parler longtemps mais l’heure de la fin de l’atelier a sonné…
On peut retrouver la retransmission sonore de cet atelier ainsi que d’autres évènements des assises avec le lien suivant : enregistrement atelier
Le centre de déontologie journalistique et de médiations (Cdjm) a publié une recommandation : « Traitement du fait divers : préconisations », un document qui a pour ambition de rappeler aux journalistes les bonnes pratiques déontologiques pour les guider dans une couverture des faits divers respectueuse des faits et du public.
Téléchargeable sur le site de la Cdjm : traitement-du-fait-divers-preconisations Cdjm
L’atelier a été couvert par un étudiant de l’Ecole publique de journalisme de Tours (EPJT) : A découvrir ici