Lorsque des rédactions de médias décident d’entrer en contact avec leurs publics ( lecteurs, auditeurs, téléspectateurs, internautes, …) il en ressort de fructueux enseignements pour favoriser la qualité de l’information qui est à la base de leurs relations. L’analyse d’expériences concrètes engagées par des médias locaux lors des élections présidentielles a été très instructive sur ce sujet lors de l’atelier organisé avec l’Union des clubs de la presse de France et francophones (Ucp2f) lors des Assises internationales du journalisme à Tours le 11 mai 2022.
Il n’est pas nouveau que les médias invitent leurs publics à contribuer à la production d’informations mais le développement de la technologique numérique à ouvert de nouveaux modes d’échanges et de participations. Cela a notamment permis d’avoir un meilleur ressenti des publics sur l’insuffisance d’informations par rapport à certains sujets pouvant aussi engendrer une méfiance de plus en plus exprimée.
« Ma France 2022 »
Face à ce constat, explique Géraldine Houdayer, journaliste web à France Bleu, « nous avons souhaité préciser à l’occasion des élections présidentielles quelles étaient les questionnements de nos auditeurs et les candidats ont été invités à apporter leurs réponses ».
C’est ainsi qu’a été organisée « Ma France 2022 », en partenariat avec France 3 et la plate forme Make.org, la plus grande consultation citoyenne en ligne jamais réalisée en France. Du 25 août dernier au 10 mars, un million de personnes ont proposé des idées pour la France de demain, en vue de l’élection présidentielle. 24000 propositions ont été formulées et ont recueilli 7 millions de votes. Les idées les plus plébiscitées ont permis d’établir douze priorités de « l’Agenda citoyen » qui ont été soumises à tous les candidats et dont on peut retrouver les réponses sur le site France Bleu de cette opération « Ma France 22 ».
Les résultats de cette consultation ont aussi pu être repris avec des traitements particuliers par des antennes locales de France Bleu à Strasbourg, en Mayenne ou à Paris par exemple et se révèlent intéressantes à poursuivre pour les législatives.
« Dialogues de campagne »
C’est au Festival de l’information locale en 2021 que les journalistes de trois sites indépendants d’information locale de Rue 89 à Bordeaux, Lyon et Strasbourg se sont retrouvés autour d ‘un même questionnement comme l’explique Simon Barthélémy de Rue 89 Bordeaux à savoir « comment donner la voix à des gens qu’on n’a pas l’habitude de faire parler ». Il ne s’agissait pas de lancer une enquête mais d’engager un dialogue de fond sur des problématiques de vie locale et de société auxquelles se trouvent confrontées les habitants. C’est ainsi qu’a été réalisée une série de podcasts « dialogues de campagne » permettant à des citoyennes (-es) d’exposer et de confronter leurs points de vue sur des thèmes de société.
De l’Aquitaine à l’Alsace, en passant par le Rhône, « nous avons réuni des Français qui semblent opposés par leurs idées et ont sûrement voté différemment », l’objectif visé étant de susciter l’échange, repérer où se situent les différences et s’écouter, voire se comprendre.
Elaborés dans chacune des rédactions, ces « dialogues de campagne », diffusés dans les trois sites ont ainsi eu l’avantage d’apporter des éclairages très instructifs sur des sujets très divers comme, à Strasbourg, la place du travail dans l’existence vue par un chef d’entreprise dans la restauration et par un artisan. Ou encore la notion d’engagement vue à Lyon par un gilet jaune et une jeune macroniste tandis qu’un viticulteur et un maraîcher bio ont parlé à Saint Emilion de leurs activités par rapport au changement climatique.
« Premières voix »
Si au quotidien de la Voix du Nord on accorde depuis longtemps une place très importante au courrier des lecteurs, l’interrogation s’est posée sur la manière de favoriser le dialogue avec les jeunes générations. « Nous avons réfléchi sur la manière de parler des élections avec eux, explique Stéphanie Zorn rédactrice en chef adjointe, et l’idée est venue d’établir un comité éditorial spécifique ». Est ainsi née l’initiative « Premières voix » pour recueillir via Instagram et Facebook la liste des thématiques sur lesquelles les jeunes souhaiteraient travailler et il s’est avéré qu’elles n’étaient pas forcément identiques aux demandes des autres lectrices (-teurs). Un comité éditorial a ensuite été constitué avec une vingtaine de jeunes aux profils très différents et venant de plusieurs lieux de la région. Un groupe Whatsapp a été constitué pour les mettre en lien avec des journalistes et ils ont été invités à participer aux rencontres politiques avec les candidats.
Visiblement la formule a été appréciée et les jeunes ont demandé de la poursuivre avec les législatives.
« Panorama du festival d’info locale »
Ces initiatives de mise en relation les publics ne sont évidemment pas les seules comme le montre le travail effectué pour établir, explique Jimmy Darras chef de projet à Ouest Média Lab, « un panorama des dispositifs particuliers d’interactions avec leurs publics mis en place par les médias de proximité à l’occasion de la campagne 2022 ».
Une centaine de projets ensuite mis en œuvre a ainsi été recensée dont une vingtaine avaient pour objet l’information lors des élections. Cela va de l’ouverture d’espaces de discussions avec les publics à une attention approfondie de leurs attentes ouvrant de nouveaux angles de traitement aux journalistes en passant par des rencontres avec les candidats ou la constitution de comité éditoriaux spécifiques. Pour sa part Jimmy Darras a été frappé par « l’importance donnée aux échanges humains dans ces démarches ».
Ce panorama constitue une sorte d’inventaires de ressources qui peuvent permettre aux médias d’appréhender la manière la plus adaptée, en fonction de leurs objectifs et de leurs réalités locale, de renforcer avec leurs publics une réflexion commune sur les informations qu’ils transmettent.
A l’issue de ces présentations les questions n’ont pas manqué. Interrogée sur l’impact de ces initiatives sur le public, Stéphanie Zorn a pu constater à la Voix du Nord qu’après le premier appel lancé, 5000 questions ont été recueillies en une journée. Géraldine Houdayer note que nombre de problématiques abordés trouvent écho auprès d’autres personnes et Simon Barthélémy constate que l’on a une meilleure perception des réalités vécues à l’échelle locale.
Si les réseaux sociaux ont leur importance, permettent-ils d’avoir un lien avec tout le monde ? L’expérience recueillie montre qu’il ne faut pas se cantonner à ces techniques . Par ailleurs, il s’agit aussi d’engager un travail de partage pédagogique sur la façon de traiter l’information dont l’impact n’est pas négligeable sur le travail des journalistes.
De ces échanges on retiendra aussi la réflexion émise dans la salle sur l’importance de pouvoir établir ces relations entre les médias et leurs publics qu’il est malheureusement difficile d’envisager dans des pays qui refusent une gouvernance démocratique.
On ne peut ici résumer l’intégralité des discussion mais rien n’empêche d’en prendre connaissance via l’enregistrement de cet atelier accessible par le lien suivant :