L’Union des clubs de la presse de France et francophones (Ucp2f) ne comprend pas comment il peut être envisagé comme l’ont annoncé la ministre de la justice Nicole Belloubet et le ministre de la Culture Franck Reister de sortir l’injure et la diffamation de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, pour faire rentrer ces délits de presse dans le droit pénal commun. Sous prétexte de lutter contre les « discours de haine » sur Internet.
Faire rentrer les délits de presse dans le droit commun, voilà une mesure qui ne peut que satisfaire l’opinion public. Pourquoi donc les médias et les journalistes échapperaient-ils à la loi ? La réponse est simple : ils n’échappent pas à la loi, simplement parce que celle-ci a été conçue pour éviter qu’un gouvernement puisse porter atteinte à la liberté d’expression et donc au droit à l’information de chaque citoyen inscrit dans la constitution.
Rappelons que, systématiquement, hier ou aujourd’hui, les régimes à caractère dictatorial commencent par réduire la liberté d’expression et le droit à l’information.
L’Ucp2f s’associe à la tribune ci-après, émise par des syndicats de journalistes, des sociétés, associations et collectifs de journalistes
« Sortir la diffamation de la loi de 1881 reviendrait à vider de sa substance cette loi, et à remettre en cause le principe fondamental de ce texte selon lequel, en matière d’expression, la liberté est le principe et le traitement pénal son exception. Aujourd’hui, les délits de presse sont jugés essentiellement par des sections spécialisées, comme la 17e chambre à Paris, considérée comme « la chambre de la presse ». Faire basculer les délits de presse dans le droit pénal commun reviendrait à contrecarrer les acquis de la jurisprudence en matière de droit de la presse, qui permet aux journalistes de faire valoir leur bonne foi en démontrant le sérieux de leur enquête, devant des magistrats spécialisés.
Comparutions immédiates
Cette réforme aurait pour conséquence de fragiliser l’enquête journalistique, en facilitant les poursuites aujourd’hui encadrées par le délai de prescription de trois mois, et une procédure très stricte, volontairement protectrice pour les journalistes. A l’heure des intimidations, rendre possibles des comparutions immédiates pour juger les journalistes enverrait un message extrêmement fort aux groupes de pression divers et variés, aux ennemis de la liberté, à tous ceux qui ne supportent pas la contradiction et ne rêvent que d’une presse et des médias aux ordres.
Ce gouvernement a-t-il un problème avec la liberté de la presse ? Il semblerait que oui. La transposition de la directive européenne sur le secret des affaires, votée par cette majorité, a ouvert une nouvelle voie aux lobbies, un nouvel outil dans l’arsenal juridique pour multiplier les procédures-bâillons. La loi fake news, qui intime au juge des référés de « dire la vérité » en quarante-huit heures, et élargit encore les prérogatives du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), porte en elle les germes de la censure. Et le projet annoncé de réforme de l’audiovisuel annonce un nouveau renforcement des compétences du CSA sur le champ de l’information. Faut-il le rappeler ? Cet organisme dont les membres sont nommés par le pouvoir politique n’a rien d’une instance indépendante.
Enfin, les récentes déclarations du secrétaire d’Etat au
numérique, Cédric O, malgré son rétropédalage sur la
création d’un conseil de l’ordre des journalistes, sont plus
qu’inquiétantes.
Violences policières et déni
Dans
la logique d’une dérive répressive qui remonte à 2015 et la
loi renseignement, déjà attentatoire à la protection des sources
des journalistes, garantie par la loi de 1881, cette nouvelle
menace arrive dans un contexte très inquiétant pour la liberté
d’informer en France. Depuis le 17 novembre et le début du
mouvement des gilets jaunes, les violences exercées contre des
reporters de terrain, condamnées par les organisations syndicales,
n’ont suscité de ce gouvernement qu’indignation sélective et
inaction : indignations contre les violences de certains
manifestants, déni des violences policières exercées en marge des
manifestations contre des photographes et/ou vidéastes couvrant le
mouvement social.
On ne compte plus les journalistes bousculés, matraqués, gazés, blessés par des tirs de LBD ou des éclats de grenades de désencerclement, le matériel de protection confisqué, les appareils photos cassés. Et les arrestations aux relents arbitraires. Les nombreux signalements à l’IGPN d’incidents divers n’ont pas, à ce jour, été suivis d’effets.
Protection des sources malmenée
Enfin, ces dernières semaines, la tentative de perquisition des locaux de Mediapart, et les auditions de huit journalistes par les services de la DGSI dans le cadre des Yemen Papers, et de « l’affaire Benalla » ont démontré que la protection des sources des journalistes, pierre angulaire de la liberté de la presse, était une notion étrangère au ministère public et niée par les pouvoirs publics. Rongée par une précarité galopante, malmenée par une partie des employeurs qui ne respectent pas le code du travail et la convention collective des journalistes, la profession n’a pas besoin de muselière. Elle réclame au contraire un respect de son statut, des conditions de travail et des moyens dignes de sa mission d’information du public, de nouveaux outils pour renforcer son indépendance, sa crédibilité, et reconquérir la confiance du public, à l’heure de la concentration des médias, du tout-numérique, et du tout-info-en-continu. Elle réclame de vraies mesures pour garantir le pluralisme des médias.
Nous, représentants des syndicats de journalistes, des sociétés de journalistes, des sociétés de rédacteurs, des collectifs et des associations, journalistes permanents ou rémunérés à la pige, photographes, vidéastes, titulaires d’une carte de presse ou non, nous dénonçons l’ensemble de ces atteintes à la liberté d’informer, et mettons en garde les parlementaires sur les dangers d’une réforme de la loi de 1881. »